Développement du lien social et agriculture urbaine dans un quartier sensible à Valence
4 Septembre 2013
Article issu du site de chairecoop.org :
Coopératisme et théorie des « Biens Communs »[1]
Les théoriciens du paradigme des Commons (biens communs)[2],abordent la question du coopératisme en revisitant les travaux de Karl Polanyi, notamment sous l’angle des nouvelles « enclosures » (mise en clôtures) qui affectent à la fois les Communs naturels (la terre, l’air, l’eau douce, les océans, la vie sauvage, la biodiversité…), qui par essence même sont la propriété de tous, et les nouveaux « Communs de la connaissance » ou « creative Commons », qui correspondent à l’ensemble des informations qui peuvent être partagées librement sur INTERNET (productions coopératives telles que l’encyclopédie « Wikipedia », logiciels informatiques et fichiers musicaux mis en accès libre etc.…), par tous les usagers, détenteurs de droits, mais aussi de devoirs.
Les théoriciens des « Commons », concept qui peut être historiquement défini comme « un système social et écologique partagé » (a shared social-ecological system[3]), s’adossent à l’idée selon laquelle un certain nombre de richesses – que ni les gouvernements, ni le marché ne sont en mesure de créer et de protéger – appartiennent à tous et doivent être activement protégées et gérées, pour le plus grand bien de tous. « Les Commons sont les biens collectifs dont nous avons hérités, que nous avons également créés et que nous devrons léguer aux générations futures »[4].
Dans l’un et l’autre cas, les « Commons » opèrent selon deux principes constitutifs. Le principe de non rivalité. (L’usage d’un bien par l’un, n’exclut pas son usage par l’autre) ; le principe de non exclusion. L’offre proposée est indivisible et une exclusion notamment par les prix de ce bien ne doit pas opérer (Samuelson, 1954). [5]
Dans les faits, Communs naturels et Communs de la connaissance font l’objet de pratiques « d’enclosures » de la part des firmes, qui développent à leur encontre des stratégies à prétention marchande, le plus souvent d’ailleurs en lien avec les agences gouvernementales [6] . « Les institutions sont rarement soit privées, soit publiques – le marché ou l’Etat (…) De nombreuses institutions actives dans les ressources communes, sont de riches mélanges d’institutions alliant caractères privés et publics(…) Aucun marché ne peut survivre longtemps sans des institutions publiques sous-jacentes pour les soutenir. »[7] A l’occasion de l’étude de transactions sociales à l’œuvre au sein de petites sociétés locales (systèmes coopératifs de pompage de l’eau, dispositifs d’irrigation, pêcheries…), E. Ostrom s’emploie à réfuter la dichotomie entre production d’un bien par l’Etat (gouvernement par une agence centrale) ou la production de ce bien par les firmes (privatisation). Se fondant sur de multiples illustrations « de ressources communes auto-organisées et autogouvernés », Ostrom remet en question « la présomption que les individus ne savent pas s’organiser eux-mêmes et auront toujours besoin d’être organisés par des autorités externes »[8]. D’une manière plus générale, il apparaît que l’apport d’Elinor Ostrom consiste en une triple approche des Communs considérés comme des ressources partagées, comme une forme spécifique de propriété », mais également, comme une réponse ajustée aux enjeux démocratiques. « Les Communs sont avant tout « des lieux de négociations – il n’y a pas de Communs sans communauté – gérés par des individus qui communiquent et parmi lesquels une partie au moins n’est pas guidée par un intérêt immédiat, mais par un sens collectif » [9]. C’est également ce qu’analyse David Bollier lorsqu’il observe, les Commons sont « un réservoir sous-estimé de création de valeurs ajoutées (…) un puissant système de gouvernement, ainsi qu’un creuset pour les aspirations démocratiques ».[10]
Dans ce cadre conceptuel ainsi résumé, et bien qu’ils ne figurent pas en tant qu’études de cas analysés dans ses travaux par Ostrom, il se confirme que la théorie des Communs redonne du sens à la notion de logement abordable notamment par le biais du modèle coopératif anglo-saxon renaissant des « Community Land Trusts » : organisations « non profit » (non spéculatives), qui œuvrent en GB et aux USA, en faveur d’un projet résidentiel coopératif, dont l’identité repose à la fois, sur les principes d’éco-habitat abordable et d’autogouvernement. La formule « Properties on the outside, Commons on the inside[11] », résume au fond assez bien ce que sont les Community Land Trusts et les normes d’action qui les irriguent : mise en commun du foncier (land), partage équitable des richesses au sein du groupe (Community), respect des aspirations démocratiques selon les modalités d’une « tripartite governance » et d’une confiance réciproque (Trust). Nous allons y revenir plus loin[12], mais on peut d’ores et déjà observer que la théorie politique des Commons, sans remettre en cause le principe même de la propriété privée, en revisite toutefois largement les usages. De façon plus précise, ce sont les pratiques liées à la rente foncière, au traitement spéculatif de l’habitat et à la régulation démocratique, qui sont ici questionnées et revisitées par ces organisations.
Trois normes d’action fondatrices peuvent en être extraites :
Un peu d’histoire….Au XIIIème siècle, les paysans anglais se révoltent contre la première grande enclosure (mise en clôture) édictée par le roi Jean et les barons anglais : les forêts, pâturages et terres communales laissées jusque-là en libre accès aux récoltes de tous, deviennent inaccessibles aux populations paysannes, qui vivent ainsi une forme d’expropriation. Il s’en suit de multiples jacqueries. Il faut attendre l’élaboration de deux traités en 1215 (la grande Charte et la Charte des forêts) pour que l’armistice soit signée et qu’il soit mis fin à cette insurrection paysanne. Par opposition aux « biens communs » (Commons) théorisés par E. Ostrom[15], le terme anglo-saxon d’«enclosure » (mise en clôture) place le « commun » dans le sens contraire de son ouverture et de son libre accès. Une fois privatisé, le « commun » se vit dès lors à travers les principes du marché, c’est-à-dire de sa monétisation. Le « commun » perd son statut d’origine et devient une simple marchandise.
Auteur : Yann Maury. CHAIRECOOP. Juillet 2013.
Crédits photos. Association Le Mât Drôme. “L’Oasis”. Jardins partagés à Fontbarlettes (Valence). Site internet :http://mat.valence.over-blog.org
[1] Cf. « Les coopératives d’habitants. Méthodes, Pratiques et Formes d’un autre habitat populaire ». 2011. Dir Yann Maury. Editions Bruylant. http://fr.bruylant.larciergroup.com/titres/125635_2/les-cooperatives-d-habitants.html
[2] Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Cambridge. University Press, Bruxelles, De Boeck, 2010
[3] “The Commons: There’s a part of our world, here and now, that we all get to enjoy without the permission of any (…) The commons refers to institutional devices that entail government abstention from designating anyone as having primary decision-making power over use of a resource”. E. Ostrom & Ch Hess. 2003. What is Commons? “Ideas, artifacts and facilities: information as a common-pool resource”. P114. International association for the study of common property.
[4] “The commons is a new way to express a very old idea—that some forms of wealth belong to all of us, and that these community resources must be actively protected and managed for the good and all. The commons are the things that we inherit and create jointly, and that will (hopefully) last for generations to come. The commons consists of gifts of nature such as air, oceans and wildlife ,as well as shared social creations such as libraries, public spaces, scientific research and creative works.” About the Commons. http://onthecommons.org/
[5] « La question des biens publics, et notamment des biens publics mondiaux, a largement été soulevée depuis l’adoption du modèle de Samuelson. Pour celui ci, les biens publics se définissent en toute logique économique par leurs propriétés de non rivalité (l’usage par l’un n’obère pas l’usage par l’autre) et de non exclusion (il est difficile d’en empêcher l’usage). Cf. Hervé Le Crosnier. ATTAC. « Référence au cadre des biens communs de la connaissance ». Sept. 2010.
[6] « Ces nouveaux Communs de la connaissance sont fragiles. Ils peuvent être victimes de nouvelles enclosures. Les DRM sur les fichiers, l’appropriation du réseau par les acteurs de la communication, la diffusion différenciée des services selon la richesse du producteur, l’appropriation privée des savoirs (brevets sur la connaissance) ou des idées et des méthodes (brevets de logiciels), le silence imposé aux chercheurs sur leurs travaux menés en liaison avec des entreprises (…) sont autant de dangers qui menacent ces nouveaux Communs, au moment même où leurs effets positifs sur toute la société commencent à être mis en valeur ». Cf. Hervé Le Crosnier. « Le prix Nobel à Elinor Ostrom : une bonne nouvelle pour la théorie des biens communs ». Alternatives économiques. Octobre 09.
[7] Elinor Ostrom, « Gouvernance des biens communs ». P 28
[8] Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs. P 39.
[9] Cf. Hervé Le Crosnier. Op cit.
[10] « L’un des plus importants challenges de notre époque est de reconnaitre les Commons pour ce qu’ils sont : un mode de production de richesses vulnérables et largement surexploitées, que nous devons protéger vigoureusement de l’activité insouciante du marché (…) Aucun gouvernement, ni aucun marché ne sont en mesure de créer ce type de richesses, car elles reposent sur des relations sociales et morales enracinées dans le partage, la collaboration, la loyauté et la confiance (trust) entre les individus. Eléments intangibles qui ne sont pas quantifiables et qui, du moins du point de vue des économistes, sont présumés n’avoir aucune espèce de conséquence». Cf. David Bollier. « Rediscovering our Common wealth. » Oregon Humanities. 2003. Du même auteur, lire également : « The growth of the Commons paradigm ». In Understanding Knowledge as a Commons ». 2007. Hess & Ostrom. Op cit.
[11] « Des propriétés à l’extérieur, des Biens communs à l’intérieur ».
[12] Cf. Infra. Chapitre II. YM. « De l’oubli à sa renaissance, le modèle coopératif anglo-saxon desCommunity Land Truts ».
[13] « Les individus accordent moins de valeur à des bénéfices qu’ils s’attendent à recevoir dans un futur lointain qu’à ceux qu’ils obtiendront dans un futur immédiat. Autrement dit, les individus actualisent les bénéfices futurs (…) Les horizons temporels sont influencés par la question de savoir si les individus s’attendent ou non à ce qu’eux-mêmes ou leurs enfants soient présents pour récolter ces bénéfices. » Cf. Ostrom. Op cit. P 50.
[14] Ostrom. Op cit. P 39
[15] Elinor Ostrom, Professeur de science politique à l’université d’Indiana, a obtenu le prix Nobel d’économie en Octobre 2009 pour ses travaux sur les « Commons ». Cf. “Ideas, artifacts and facilities: information as a common-pool resource”. International association for the study of common property. 2003.